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Le visage de l’homme à travers ses textes

L’homme et le sol

"L’un des pays, de son nom français Algérie, qui composent le Maghreb, laisse à peine soupçonner que sa dénomination el Djazaïr veut dire, aussi paradoxal que cela puisse paraître : les Îles, sans qualificatif - contrairement par exemple aux Îles Britanniques. Une certaine manière insulaire d’être, particulière au tempérament algérien, viendrait-elle par hasard de là ? Déteint-il sur notre personnalité, le nom du sol dont nous sommes issus, pétris ?" (l’Arbre à dires)

L’homme et le pays

Le devoir de nommer : "En tant qu’écrivain algérien, j’ai ressenti le besoin et le devoir de décrire, de nommer l’Algérie, de la montrer. Cela suffisait à l’époque (coloniale) de décrire un paysage algérien pour faire acte de foi et amener l’Algérie à l’existence littéraire".( in al-Watan)

L’œil scrutateur, l’œil vigilant : "Dans un premier temps, les livres présentent le pays et le peuple d’une façon un peu externe. C’est le moment réaliste. Mais le réalisme consiste à montrer l’intérieur aussi. L’approfondissement de la réflexion chez les écrivains est devenu une nécessité. Il n’y a pas chez eux de rupture. C’est l’orientation de la pensée qui a changé. Elle se situe dans une évolution tout à fait normale". (ibid)

L’homme et la langue

Les formes d’écriture : "J’ai évolué vers une forme d’écriture nouvelle, vers des sujets nouveaux qui ne m’ont pas fait perdre la réalité extérieure".(ibid)

"Je suis essentiellement poète et c’est de la poésie que je suis venu au roman, non l’inverse"(Afrique-Action)

La langue d’écriture : l’essence et l’accident. "Le français est aujourd’hui une langue que les Algériens ne dédaignent pas de pratiquer largement. J’ai débuté moi-même dans la vie comme maître d’école et dans cette langue qui, loin de me rendre Français, m’a fait plus Algérien".(Tlemcen ou les lieux de l’écriture : l’enfance de l’art)

L’écrivain public

"Nous ( les jeunes écrivains algériens) cherchons à traduire avec fidélité la société qui nous entoure. Sans doute est-ce un peu plus qu’un témoignage. Car nous vivons le drame commun. Nous sommes acteurs de cette tragédie. /.../ Plus précisément, il nous semble qu’un contrat nous lie avec notre peuple. Nous pourrions nous intituler "écrivains publics". C’est vers lui que nous nous tournons d’abord. Nous cherchons à en saisir les structures et les situations particulières. Puis nous nous retournons vers le monde pour témoigner de cette particularité, mais pour marquer aussi bien combien cette particularité s’inscrit dans l’universel. Les hommes sont à la fois semblables et différents : nous les décrivons différents pour qu’en eux vous reconnaissiez vos semblables". (Mohammed Dib, Témoignage Chrétien, O7-O2-1958)

Qui est le francophone de l’autre ?

"Il est arrivé à nos oreilles qu’il existe à Paris un groupe de gens qui écrivent aussi des livres, tout comme nous. Cela fait assez de bruit par moment pour qu’on le croie. Ils écrivent dans la même langue que nous. Cela peut paraître étrange. Ils sont des francophones. /.../ En fait, nous ignorons qui est le francophone de l’autre. Nous, nous écrivons en français, et eux, allez savoir en quelle francophonie. Parce que, après tout, je veux bien admettre qu’ils sont Français, et pas nous". (Mohammed Dib, L’Arbre à dires)

Extraits

Il pense : "Je suis soutenu par une sorte d’espoir confiné dans des régions si inaccessibles que j’en suis à me demander si cela peut s’appeler encore de l’espoir. Alors, j’en profite pour rêver d’une belle vie qui s’enveloppe d’un tiède brouillard de nostalgie". ( Un été africain)

"La sagesse de la mer finit toujours par l’emporter sur les trépignements de l’homme... Sans la mer, sans les femmes, nous serions restés définitivement orphelins... La mer, avec sa clémence, demeure seule capable de nous faire voir clair dans nos propres sentiments". (Qui se souvient de la mer )

"Qu’on me rende ma ville, que je puisse rencontrer des visages qui me parlent, des visages dont je puisse faire le tour, comme on fait chez nous pour le plaisir de la promenade le tour des remparts, comme on boit du thé à l’ombre des platanes, comme on court au devant de la mer...". (Les terrasses d’Orsol)

"O vive, la parole qui fait merveille, qui est étonnement. Eau, vie et rose du même nom, l’aimée. La femme faite eau. L’eau faite femme vive. Parole, eau, femme qui fait le vide autour d’elle, et le fait plus vide encore pour mieux nous atteindre, mieux nous aimer et combler notre soif". (O vive)

"Et un jour viendra peut-être où cessera ce grand va et vient d’étrangers. Tous, il faut l’espérer, nous finirons alors par nous retrouver, où que nous nous trouvions. Pas plus que les autres, je n’aurai besoin de savoir si je suis moi-même d’ici ou d’ailleurs. Aucun lieu ne refusera de m’appartenir et plus personne ne vivra dans un pays emprunté. Irons-nous au désert : accueillant, il nous tendra la nudité de sa main ouverte. Rappelée à son premier état, la terre sera au premier venu". (l’infante maure)

Tlemcen à l’œuvre dans l’œuvre

Les lieux de l’écriture :
"Au commencement est le paysage, - s’entend comme cadre où l’être vient à la vie, puis à la conscience.
A la fin aussi.
Et de même dans l’entre-deux...
Secret travail d’identification et d’assimilation où conscience et paysage se renvoient leur image, où, s’élaborant, la relation ne cesse de se modifier, de s’enrichir, où le dehors s’introvertit en dedans pour devenir objet de l’imaginaire, substrat de la référence, orée de la nostalgie". (Tlemcen ou les lieux de l’écriture)

Le patio

"Le cadre premier de mes écritures fut cette cour, ce que nous Algériens appelons le centre de la maison, le centre de fait, bien sûr, au sens géométrique du mot : comment peut-il en être autrement ? Mais s’en tenir à cette acception priverait notre cour de son véritable rôle, qui est de nous réunir".(ibid)

Les voies de l’écriture :

"L’écriture est une forme de saisie du monde. Mais cette saisie s’effectue dans un mouvement de recul, - recul du scripteur par rapport au monde et recul du même par rapport à l’écriture. L’œuvre, semble-t-il, se constitue dans ce creux, dans cette distance. On le vérifie mieux si, pour écrire, on adopte un idiome autre que le sien. Mais cela ne change rien à l’affaire, qui est de combler l’intolérable faille.
L’espoir et le désespoir d’y arriver sont la chance de l’écrivain". (ibid)

Les impasses de l’écriture :

"Vous n’avez ni tout dit, comme vous avez cru l’avoir fait, ni bien dit ce que vous aviez à dire. La déception vous attend toujours au bout... Tenter à nouveau l’aventure. Vous ne pouvez dès lors échapper à l’appel de l’œuvre à refaire. Qui sera cette fois parfaite... La procédure de création garde toujours ce quelque chose d’irréductible comme un orgueil, ou un mal, caché". (ibid)

Le malentendu salutaire

"Le malentendu nous sauve la mise. Faisant s’articuler un dialogue entre un étranger et un autochtone, quand l’un des deux au moins pratique la langue de l’autre, il permet, sur une solide assise d’incompréhension, à une certaine compréhension de circuler, en marge, en dessous ou au-dessus des discours prononcés, laquelle, transitant en rétroaction, finit par ouvrir une aire d’entente dans le champ même du malentendu, une aire de cohabitation.
C’est, croyons-nous, la seule façon de voir sérieusement s’établir l’échange, l’intelligence mutuelle et, du coup, de voir tout dialogue cesser d’être un dialogue de sourds". ( L’Arbre à dires)

L’exil : mort ou résurrection ?

Je veux un cœur déchiré par l’exil Pour lui conter la douleur du désir !

"A quel genre d’exil songeait donc Jalal Eddine Rumi... qui, au XIIIème siècle, poussait ce cri passionné ? /.../ La question se pose d’abord de savoir : vivent-ils, l’exilé mystique et l’exilé vulgaire, la même expérience ? Non, certes ; encore que l’un et l’autre entretiennent leur cœur et leurs pensées dans la nostalgie, l’un torturé par la nostalgie de quelque chose qui n’est pas ce qui torture l’autre. Le mystique rêve de sa perte dans le feu divin ; l’émigré ne rêve que de retrouvailles avec le pays perdu, et de la résurrection que cela signifierait pour lui. Hanté par l’idée de retour, au vrai, celui-ci espère obscurément plus que cela : voir son pays venir à lui./.../ Assez loin et plus en vue en comparaison, se range une catégorie d’exilés bien spéciale : celle des artistes et autres écrivains. Nulle époque n’a probablement plus que la nôtre compté autant de Jean sans Terre parmi leur gent". (L’Arbre à dires)

L’impossible retour

"Y a-t-il un retour possible pour celui qui est parti ? Pour ma part, je ne le crois pas ou plutôt je crois que celui qui est parti n’est plus celui qui revient". (L’Arbre à dires).

L’écrivain et ses lecteurs

"Ceux qui ont la curiosité de me lire pourront témoigner. De l’un à l’autre de mes livres, des passerelles sont jetées, non d’une manière calculée mais comme la conséquence naturelle d’une manière de procéder, traverses qui relient chaque livre à un autre, nullement dans une succession logique, mais organique. Car ce n’est pas une suite romanesque, ou poétique, que je me suis efforcé de mettre sur pied, j’ai été tenté au contraire par l’aventure que constitue une exploration tous azimuts".(L’Arbre à dires)


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Dib, grandeur et humilité

Mohammed Dib s’est éteint vendredi matin à Paris. Il avait 83 ans. En septembre dernier, il avait fait une chute chez lui dans les Ardennes. Un accident qui, pourtant, ne l’avait pas empêché de continuer à produire régulièrement des ouvrages qui, «à chaque occasion, ajoutaient au prestige de l’Algérie, rehaussant l’image du pays au plan international et l’écriture algérienne au rang de l’universel», comme le rappelle, dans un communiqué, l’association culturelle La Grande maison de la fondation qui porte le nom de l’auteur. Une institution mise en place avec l’accord et l’encouragement de l’écrivain. De son vivant, Mohammed Dib avait manifesté, de manière évidente, son désir de revoir son pays, dont la dernière visite remontait à 1981. L’auteur de L’incendie aurait pu retourner dans sa patrie et à Tlemcen, sa ville natale, le mois de décembre prochain. Mois choisi pour l’attribution du prix littéraire destiné à récompenser un jeune talent algérien tous les deux ans.
Par Chahredine Berriah


Un homme du monde Par Amine Lotfi

Il y a mille et une façons d’évoquer, aujourd’hui, Mohammed Dib. Mais, pour paraphraser Jorge Luis Borgès, aucune ne sera la bonne au regard de la multiplicité des pistes sur lesquelles s’était engagé cet immense écrivain qui appartient tout autant, maintenant, à l’Algérie qu’à l’humanité toute entière. Et il était bien, à cet égard, un homme du monde avec ce que cette formule connote de noblesse dans le caractère, et d’ancrage dans l’universalité. Qui peut dire, parlant de la littérature de Mohammed Dib, qu’elle est encore réductible à un territoire, ou balisée par des frontières. Dib était, par excellence, le citoyen des lettres, préfigurant par son expérience personnelle cette affirmation d’une globalisation qui implique tous les hommes. Nourri de cette algérianité féconde dans laquelle baigne son œuvre, il avait pourtant transcendé les limites d’une littérature nationale. C’est en cela qu’il a été en avance sur son temps, et c’est pour cela que la somme immense qu’il a donnée aux livres universels n’a pas eu la reconnaissance qu’elle méritait tant dans son pays lui-même que partout ailleurs où se jugent le sens, l’épaisseur, et la durabilité d’une œuvre littéraire. Comment comprendre, alors, que cette somme dibienne n’ait pas été consacrée par le prix Nobel que l’écrivain méritait sous quelque chapitre que puisse être abordée sa trajectoire.? Dib, pourtant, ne s’en plaignit jamais. Mais d’un mal naît toujours un bien. C’est, maintenant, lui qui manquera au Nobel qui restera associé à cet oubli. Romancier, poète, dramaturge, Mohammed Dib était, de fait, plusieurs hommes en un seul,ce créateur colossal qui peut être expliqué mais pas résumé. Aux Algériens, à l’Humanité, il lègue le formidable, et si actuel, message de jeunesse, de modernité et d’ouverture d’une œuvre enthousiaste et généreuse qui n’a reconnu pour tout pouvoir que celui du Mot. De ce grand Algérien, si élégamment entré dans l’éternité, on pourra dire que son pays c’était aussi le monde.

Rachid Boudjedra : Avant tout, il faut souligner que Mohammed Dib est le fondateur du roman algérien d'expression française. Il y a eu bien évidemment Mouloud Mammeri et Mouloud Feraoun, sauf que ceux-là sont restés dans le roman classique. Mohammed Dib a apporté un plus qui est simplement la modernité. Avant ces trois écrivains, il n'y avait pas de roman algérien. Dans les années 1930 et 1940, il y avait une littérature folklorique, exotique, profrançaise. Kateb Yacine qui avait du génie mais c'est toute l'oeuvre de Dib, près de trente romans, qui est géniale. Je dirai que la différence entre Mouloud Feraoun et Kateb Yacine, c'est Mohammed Dib. Kateb avait du génie, Dib était régulier. Avec Dib, le roman algérien a démarré de façon universelle. De ce point de vue, Dib est un bel exemple dont devraient s'inspirer nos jeunes écrivains d'aujourd'hui. Lorsque je l'ai connu, il écrivait très tôt le matin, de manière élaborée et laborieuse. Il a écrit jusqu'à sa mort.
Cela étant, je distingue dans l'oeuvre romanesque de Dib deux périodes distinctes. La première, que je qualifierai de réaliste, s'étale jusqu'à l'Indépendance, entre 1952 et 1965, durant laquelle il produit ses premiers romans La Grande Maison, L'Incendie et Le Métier à tisser. A cela succède une période plutôt surréaliste, analytique, un peu mystique marquée par une trilogie scandinave, notamment avec Habel paru en 1977. Cependant, il y a un aspect peu connu de Mohammed Dib, celui du poète. Dib est un grand poète.

Depuis son premier recueil de poèmes, Ombre gardienne, sa poésie est restée simple, engagée. Avant Kateb, Mohamed Dib a introduit la poésie dans son roman L'Incendie.

Louis Aragon :"Cet homme d'un pays qui n'a rien à voir avec les arbres de ma fenêtre parle avec les mots de Villon et de Péguy".


Jean Déjeux:“C'est l'écrivain de la précision dans les termes, de la retenue et de la réflexion. L'air qu'il fait entendre sur son clavecin est une musique intérieure qui parle au coeur. Ecrivant en français, sans complexe et assumant sa double culture, l'auteur ne se livre pas purement et simplement au lecteur. Sa création littéraire demande souvent plusieurs lectures pour pénétrer jusqu'au sens.”

Jean Déjeux, dans Hommage à Mohammed Dib, "Kalim", n° 6 , Office des Publications Universitaires, Alger, 1985.

 
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